LE JAPON MEDIEVAL

 
 


Hayao Miyazaki est, ce que l'on pourrait appeler, un conservateur. La plupart de ses œuvres délivrent le même message : le désir d'un possible retour en arrière. C'est en regardant le film Princesse Mononoké que l'on comprend que cette idée est dominante. Le réalisateur situe son action principale durant le Japon médiéval et plus particulièrement pendant l'Ère Muromachi, une période qui dura plus de 200 ans (de 1333 à 1543), et qui marqua profondément le pays.

 

le village d'Ashitaka
Le village d'Ashitaka, au nord de la région d'Honshû

 

L'histoire se déroule donc durant l'Ere Muromachi (et plus particulièrement dans la seconde partie du XVème siècle, pendant la guerre d'Onin de 1467 jusqu'en 1477), et l'un des sages le prouve avec une phrase que l'on peut entendre dès le début du film : "J'ai entendu dire que le pouvoir de l'Empereur n'est plus, et est remplacé par celui des Shogun qui, à leur tour, se sont cassés les dents". L'ère Muromachi commence alors au début du XIVème siècle par le règne du shogun, autant dire le dirigeant du gouvernement et donc l'empereur japonais, nommé Ashikaga Yoshimitsu (notez que seules deux lettres diffèrent avec le nom du héros, Ashitaka). Mais à cette époque, le pouvoir impérial n'est plus aussi puissant qu'auparavant et le shogun devient un personnage sans véritable pouvoir, malgré sa réputation. Les classes populaires devenaient de plus en plus fortes, et en se soudant, finirent par se rebeller contre l'empire dans les années 1420 à 1430. Jusqu'à la fin du siècle, il y aura une véritable anarchie politique, présente tout au long du film. Cette anarchie servira notamment à un personnage central de l'histoire : Dame Eboshi. Elle profite entièrement de ce changement dans la société pour imposer sa loi et incarne tout au long de l'histoire le symbole du progrès, notamment avec les armes à feux. Miyazaki est donc un adepte des anachronismes, puisque ces armes n'existaient pas encore pendant l'action du film (elles apparurent environ à la deuxième moitié du XVIème siècle). Son personnage principal est aussi une sorte d'anachronisme à lui tout seul.  En effet, Ashitaka fait parti d'un peuple, les Emishis, qui vivaient entre 710 et 794 durant l'ère Nara, c'est à dire bien avant le commencement de notre histoire. 


Et pourtant, ces petits détails passent inaperçus aux yeux des Occidentaux. Le réalisme de l'œuvre passe avant toute chose : une multitude de petits indices permettent aux spectateurs de situer l'action dans des temps plus anciens.



                                                       
 Plus ou moins âgés, les sages veillent sur le village grâce à leur justesse d'esprit                                                     La chamane fait le lien entre les mortels et les dieux

 

Au tout début de l'œuvre, on découvre un paysage reclus, complètement isolé de la société. A l'époque, les Emishis furent battus par l'Empereur, et vivaient à l'écart des autres, dans les montagnes. Miyazaki situe son action dans un village qui rapelle fortement celui d'Astérix et les Gaulois, qui survivaient encore malgré le progrès et l'avancée des romains. On y découvre alors une pleïade de personnages, comme le jeune prince Ashitaka, qui dès le début s'impose comme l'un des personnage les plus importants puisqu'il ose affronter un démon, mais l'on découvre aussi un chamane, un personnage très important dans les anciennes tribus pour ne pas dire le plus important du village, ce qui amène directement à un thème très important du film : la religion et ses croyances. Le chamanisme se retrouvera bien plus tard dans le film, réincarné dans le corps de San. Par la suite, nous découvrons des sages, symboles de la raison et du devoir. Ceux-ci préviennent Ashitaka qu'il est condamné, et que le seul moyen de combattre sa malédiction est de "voir le monde avec des yeux grands ouverts". A ce moment précis, Ashitaka coupe ses cheveux et respecte ainsi une ancienne tradition nippone : au Japon, quand une personne se coupe les cheveux, cela signifie qu'il ne vit plus En faisant cela, Ashitaka est consideré comme mort et ne fait donc plus parti de son village. 
Plus tard, Ashitaka participera à une scène de combat très réaliste, aussi bien dans les costumes que dans les armes utilisées. 


 


Scène de bataille très réaliste 




 D'ailleurs, si Ashitaka se fait attaquer, c'est seulement parce que les soldats ont confondu son couvre-chef, un bonnet rouge, avec un casque. A l'époque, seuls les plus hauts gradés ou les samouraïs portaient des casques, et avaient une monture. Ainsi, Ashitaka attire les convoitises et les jalousies. Un guerrier moins gradé que notre héros serait couronné d'honneur s'il arrivait à tuer un soldat beaucoup plus fort que lui. 

La forge est elle aussi un symbole puisqu'elle représente le renouveau, l'indépendance et le progret humain qui caractérisent parfaitement l'Ère Muromachi. Pendant cette période, les japonais connurent de nombreuses guerres, et de discordes entre eux, mais ce fut aussi une période de grands changements, avec de nouvelles formes d'art, avec la cérémonie du thé, l'art de la composition florale ou le théâtre Nô par exemple.
Les femmes avaient beaucoup plus de libertés en ce temps là, et c'est aussi pour cette raison que les personnages qui s'occupent de la forge et du travail sont des femmes.  

 


 
La forge, symbole du progrès et de la technique humaine.
 
 

Si Miyazaki choisit l'Ère Muromachi, ce n'est pas seulement parce que le pays est face au progrès et aux changements. C'est aussi parce que la façon de penser des japonais l'intéressait. A cette époque, la nature effrayait les hommes, personne n'osait s'y aventurer de peur d'être maudit par un démon. Les hommes ne pensaient pas à détruire la nature, chacun restait chez soi et tout le monde était content. L'histoire du film est d'ailleurs basée sur un équilibre entre la nature et les hommes, et pourtant, les humains, menés par Dame Eboshi, cherchent à conquérir le "monde" par n'importe quel moyen, même s'il faut détruire les alentours. Miyazaki reporte cette faute de toujours "vouloir plus" sur la société japonaise actuelle. Il espère ainsi convaincre les japonais d'arrêter de détruire leur environnement, sous peine de voir la faune et la flore disparaître à tout jamais... 


 

Le domaine des dieux : la montagne et la forêt.


 
L'idée d'une nature respectée et crainte est présente dès le début du film : le spectateur voit apparaître devant ses yeux un paysage totalement inconnu dans le brouillard, ce qui le perturbe et l'effraie comme l'aurait été un japonais durant l'Ère Muromachi. Le brouillard s'impose comme une sorte d'obstacle qui prévient et empêche l'homme d'aller plus loin. C'est aussi une sorte de message pour prévenir le spectateur que la forêt est "habitée", puisque le brouillard rappelle fortement la fumée qui s'échappe d'une cheminée, et pas par n'importe qui puisque la forêt est la "maison', le domaine des dieux et des divinités, très respectées à l'époque.


Plus loin dans le film, nous trouverons Ashitaka en pleine conversation avec un étrange personnage du nom de Jiko. Notre héros montre à son nouveau compagnon la pierre qu'il a trouvé dans les entrailles du démon qu'il a tué et lui demande s'il l'a déjà vu quelque part. A ce moment là, la voix de Jiko devient plus mystérieuse et pousse le spectateur à être beaucoup plus attentif. Il parle alors d'une forêt dans les "Hautes Montagnes dans le confin de l'Occident", ce qui confirme de un l'isolement et la difficulté pour s'y rendre, et de deux la présence de divinités, la montagne étant un symbole shintoïste, et conclue par "personne n'y a jamais mit les pieds", comme s'il prévenait Ashitaka de ne pas y aller, sous aucun prétextes
 


 
Jko, un étrange personnage qui connait beaucoup de choses sur les Emishis et la forêt, hantée par les démons.

 

Princesse Mononoké est une œuvre ultra réaliste qui nous plonge directement en plein cœur du Moyen-Âge nippon, à travers ses rites et sa façon de penser ancestrale.  Et si Miyazaki situe son histoire à cette époque, ce n'est certainement pas un hasard : Princesse Mononoké est en réalité une description du Japon actuel, qui vit ses nombreux changements et ses progrès dans une grande confusion, capable de tout détruire sur son passage. Miyazaki joue le donneur de leçon et prévient les générations futures du risque à venir s'ils continuaient à agir de la même façon., dans un film à la fois mystérieux et effrayant, poétique et pessimiste.      


 



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